Isabelle Varlet : les paysages et les jardins comme lieux d’expériences sensorielles – Pauline Lisowski
Isabelle Varlet emprunte ses méthodes de travail à celles du paysagiste, faisant à la fois appel à la dimension sensible de l’expérience du terrain et à des connaissances acquises auprès de personnes rencontrées. Ses projets relèvent d’une longue expérience passée à arpenter des lieux, à s’imprégner des éléments naturels, à se mesurer à la topographie des milieux et à recueillir des paroles. Elle fait confiance à ce qui surgit des échanges. Ceux-ci l’amènent à comprendre l’histoire des paysages parcourus. Elle complète son expérience par des relevés botaniques et des cartes, tels des indices lui permettant de rendre visibles les particularités d’un écosystème. Ses gestes avec les végétaux la conduisent également à entrer en relation avec eux, à ressentir leurs comportements face aux conditions climatiques.
L’artiste observe au plus près la biodiversité au ras du sol, nous invitant à une attention profonde, à prendre conscience de la flore spontanée, témoin d’un milieu. En herborisant, elle garde en mémoire des étapes de son chemin, de sa découverte, pleinement ouverte aux perceptions d’une vie végétale.
Isabelle Varlet considère avec attention les changements des paysages qu’elle parcourt et ceux de son quotidien. Dans ses dessins, elle interroge les relations que nous entretenons avec les paysages et de quelles manières nous agissons et réagissons face à leurs transformations, leur bouleversement. Son travail de dessin a comme point de départ une enquête sur les présences de plantes sur les motifs architecturaux et sur la biodiversité végétale et animale fragilisée, qu’elle prend soin de représenter au fusain afin de nous inciter à les considérer avec un regard aiguisé.
Pour l’âge d’or, Isabelle Varlet renoue avec l’histoire d’un jardin de son enfance, le jardin du Puits Clos, celui de sa grand-mère. Par l’herborisation dans des jardins privés et publics, elle s’est laissée stimuler par chaque microcosme de végétation. Chaque lieu dont on lui a ouvert les portes est devenu le terrain d’une exploration sensible, d’un récit. Chaque jardin lui a ainsi livré son histoire, sa mémoire, une richesse végétale avec laquelle entrer en relation, une manière de se reconnecter avec son propre passé. Son herbier, tel un élément indiciel, révélait son attachement aux plantes qu’elle a récoltées dans des jardins et lors de promenades, des espèces qu’elle a reconnues, celles qui étaient présentes dans ce refuge. A travers ce travail d’herborisation, le jardin du Puits Clos trouve une nouvelle existence. Pour avancer dans sa quête, l’artiste a interrogé les membres de sa famille. Ils lui ont confié des textes et des éléments permettant de raviver sa mémoire, de revivre des moments et de se rappeler des multiples chemins empruntés dans le jardin. D’images en images, d’écrits en écrits, elle a restauré l’organisation végétale de ce lieu qui a vu tant de joie, d’insouciance… Ce processus de création a tissé de nombreux réseaux, entre des personnes, des plantes et des jardins. Un lien s’opère avec le jardin comme lieu de rencontres, d’interaction avec le vivant, où les divers sens sont en éveil.
Ses antotypes réalisés à partir de végétaux présents dans le jardin du Puits Clos donnent à voir des photographies de famille. Ces images créées à partir de cette technique expérimentale incarnaient la dimension fugace du souvenir, le cycle de vie des plantes et celui des saisons au jardin. Des hydrolats invitaient à une expérience mémorielle olfactive. Par leur composition, l’artiste ressentait les odeurs proches de celles du jardin de son enfance, comme si le flacon contenait un mélange de senteurs la rapprochant d’instants vécus. Chacun de ses gestes constituaient une précieuse expérience pour retisser des relations avec les végétaux qu’elle a connus enfant. Ses œuvres se rattachaient au temps de l’observation de la nature, au changement d’état des plantes et au surgissement de moments gardés en mémoire.
Ainsi, cette exposition invitait les visiteurs à éprouver des sensations à partir desquelles ils pouvaient renouer avec leurs propres souvenirs de lieux. Les plantes avec lesquelles nous grandissons nous rattachent à des instants qui en appellent d’autres. Au-delà de l’histoire personnelle à l’origine de ce projet, nous pouvons songer à de nombreuses expériences collectives dans des jardins, là où vivre des premières sensations au contact d’une vie végétale, là où les diverses sensorialités sont convoquées et où apprécier des odeurs, des couleurs, des lumières changeantes. Les promenades dans des jardins invitent en effet à des cueillettes visuelles, à suivre ses ressentis, à préserver en soi chaque découverte et rencontre, constitutifs d’un attachement profond à certains végétaux.
Pauline Lisowski, 2025
Isabelle Varlet – Anne Séchet, curatrice de l’exposition L’âge d’or à la MDAC
Isabelle Varlet
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V a r l e t
Vallées cachées
Vallons à découvert
Voyages résilients
Virées sauvages dans les vraies
Beauté retrouvée dans l’ivraie
Ivresse des herbes vaillantes
Varlet
Vaillante marche
Elle parcourt les paysages
Co-crée avec les matières vivantes
Dans un soucis du geste juste
Du lien adéquat avec l’instant
Avec le paysage qu’elle habite
Son corps se déplace au creux du paysage
Elle y reste bien après toute secouée d’humus
Elle y est
Quand elle place ses récoltes dans ses installations
Elle y est
Quand elle dessine au plus près des fibres
Elle y est
Quand elle photographie
Elle y est
Quand elle peint dans son atelier
Partout Toujours
Elle y est
Là
À l’intérieur de la nature
Vivante parmi les vivantes matières
Pour les voir mieux
Pour nous les faire voir mieux
Pour son projet L’âge d’or
L’artiste s’est tournée vers le jardin aimé de sa grand-mère
« Mamele » « grand-maman »
Espace intime mi apprivoisé au milieu des herbes folles
Des herbes puissantes Des arbres et des fruits
Du Néflier par dessus tout
L’âge d’or résonne pour moi avec celui aimé de ma propre grand-mère
« Mamie Lulu » « Mamie Lucienne »
Espace intime mi apprivoisé au milieu des herbes folles
Des herbes puissantes Des arbres et des fruits
Du figuier par dessus tout
L’âge d’or
Résonne avec encore d’autres jardins
Encore d’autres temps Encore d’autres transmissions
L’âge d’or
C’est donc l’âge des anciennes vivantes racines
C’est aussi un paysage mental qui habite les corps
C’est aussi les jardins sensoriels qui habitent nos sens
C’est les dessins mémoriels emplis de mots d’odeurs
L’âge d’or
C’est un espace empli de gestes de soin
L’âge d’or
C’est un espace de sensations qui fait remonter les vraies
L’âge d’or
Un geste artistique pour déplacer plus large plus dense
Du jardin à l’herbier
Du jardin à un herbier en 3D
Un espace à traverser
Pour soulever par instant la peau veloutée
De quelques anthotypes photos du passé
Soigneusement révélés aux jus végétaux
Marcher Glaner
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Tous les sens sont mis en extrême acuité
Marcher Glaner
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Ivresse des ballades
Isabelle Varlet
Seule et ensemble
Une et plusieurs
Finesse des intelligences anciennes
Ivresse de pollens et de fruits dans le jardin clos
Une force souterraine semble toujours se tresser sous ses pieds
Elle qui semble toujours à chacun de ses gestes en lien avec les racines vives
Celles des arbres Des herbes simples Des herbes folles Des herbes engagées
Car Isabelle telle Flore ne craint pas de partir pieds nus
Et de retrouver la sensation sauvage de l’enfance frondeuse
Isabelle Varlet
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E xplorations
Anne Séchet, 2024